“
|
Ils pendent l’homme et fouettent la femme Qui volent une oie sur le terrain communal, Mais laissent filer le scélérat Qui vole le terrain communal à l’oie.
|
”
|
—Poème anonyme de protestation, 1764 ou 1821
|
Premiers pas
Indiquez si les affirmations suivantes sont vraies ou fausses:
- La notion de plagiat trouve son origine dans le principe moral selon lequel il est condamnable de copier le travail d’autrui.
- Vrai
- Mauvaise réponse. La notion de plagiat n’existait pas avant l’apparition du droit d’auteur. Ce n’est que depuis l’introduction du droit d’auteur qu’il est devenu inacceptable d’un point de vue juridique et social de copier une œuvre sans mentionner son auteur.
- Faux
- Bonne réponse. Le plagiat est davantage une construction historique qu’une question morale, bien que nous considérions aujourd’hui le fait de copier une œuvre sans mentionner son auteur comme étant moralement discutable.
- À l’origine, le droit d’auteur a été introduit pour protéger les droits de son titulaire.
- Vrai
- Mauvaise réponse. À l’origine, le droit d’auteur a été introduit pour limiter les droits de son titulaire.
- Faux
- Bonne réponse. La notion de droit d’auteur a été introduite en Angleterre avec la «loi pour l’encouragement de l’apprentissage» qui défendait le droit de reproduction.
Le droit d’auteur : un concept étranger à la pensée antique
Portrait d’Aristote.
«Nous avons tous pour l’imitation un penchant qui se manifeste dès notre enfance […] : c’est par l’imitation que nous prenons nos premières leçons»[1]
Dans les pays de common law (de tradition juridique britannique), le droit d’auteur (copyright en anglais – soit littéralement le «droit de copie») est officiellement apparu au XVIIIe siècle.
Avant cela, les scribes de l’antiquité (les premiers copieurs) ne se privaient pas de raccourcir, de substituer, de modifier, de rallonger ou d’abréger les œuvres classiques ou religieuses qu’ils recopiaient. Au IVe siècle av. J.-C., Aristote écrivait ainsi que :
“
|
Nous avons tous pour l’imitation un penchant qui se manifeste dès notre enfance […] : c’est par l’imitation que nous prenons nos premières leçons[1]
|
”
|
Sous l’Antiquité, la copie ou ce que l’on appelle aujourd’hui plagiat n’étaient pas proscrits. La conception du monde de nos ancêtres reposait sur des récits et non sur des dogmes. Les conteurs ne détenaient pas de droit «moral» sur leurs contes. Personne ne remettait en cause le droit de tout un chacun à copier les récits et les œuvres. «La notion de droit d’auteur était parfaitement étrangère à la pensée antique»[2]
Partir en guerre pour le droit de copier un livre
C’est en Irlande, au VIe siècle, que s’est tenu le premier procès connu sur le droit de copie. Un moine irlandais du nom de Colomba recopia sans autorisation le psautier de saint Jérôme, un recueil appartenant à Finnian, abbé dans un autre monastère. Ce dernier lui demanda de lui rendre la copie de son livre, considérant qu’il s’agissait d’un bien qui lui avait été volé. Face au refus de Colomba, Finnian en appela au roi Diarmaid d’Irlande, qui se prononça en sa faveur, en vertu du principe de « à chaque vache son veau ». Offusqué de ce jugement, Colomba affronta les hommes du roi lors de la bataille de Cuildremne, en 561. Il remporta la victoire, qui coûta néanmoins la vie à plus de 3 000 hommes, et le roi Diarmaid dû partir en exil [3] Plus tard, Colomba dut lui aussi s’exiler pour l’Écosse[4] On peut conclure de cet épisode que bien qu’il ait perdu le procès, Colomba avait néanmoins fini par l’emporter par la force. La bataille de Cuildremne régla la question du droit d’auteur en faveur du libre accès pour plus d’un millénaire. Les moines irlandais continuèrent à copier des livres et, depuis l’Écosse, se disséminèrent en Europe, où ils diffusèrent les lumières[5]
Beaucoup d’auteurs, mais seulement quelques presses : le monopole de distribution des débuts de l’imprimerie
La presse à imprimer, qui a rendu possible la production de copies en série, fut introduite en Europe au XVe siècle. Comme les presses étaient rares et les auteurs nombreux, les imprimeurs prirent le contrôle des livres qu’ils reproduisaient, se contentant généralement de verser à leurs auteurs une simple rétribution forfaitaire. Les monarques, estimant qu’il était plus simple de taxer et de contrôler ces quelques imprimeurs plutôt que les nombreux auteurs, leur accordèrent le monopole de la distribution, en échange du versement de taxes et du respect de la censure. En Angleterre, la Stationers Company, composée de membres appartenant à une guilde d’imprimeurs londoniens, se vit accorder en 1557 un monopole d’impression dans le but d’éviter la diffusion des idées protestantes dans le pays[6] Sous Cromwell, les monopoles d’impression furent renforcés, mais la censure était cette fois dirigée contre les opposants au protestantisme.
C’est au cours de cette période que le fait de copier un ouvrage sans mentionner son auteur est devenu inacceptable aux yeux de la société. Ben Johnson fut l’un des premiers auteurs anglais à utiliser le terme de «plagiaire» (plagiary) tel qu’il est défini aujourd’hui. L’Oxford English Dictionary cite une occurrence antérieure du mot chez Montagu en 1621, qui utilisa le terme de «plagiat» (plagiarisme) pour décrire le fait de dérober l’œuvre de quelqu’un[7] Ainsi, Howard soutient que le plagiat est une construction historique plutôt qu’une catégorie morale[8] Downes reconnaît quant à lui que le plagiat, s’il est mensonger, ne relève pas du vol, mais constitue plutôt un «abus de confiance entre le plagiaire et le lecteur… une représentation trompeuse de soi»[9]
Origines du droit d’auteur
La loi de la reine Anne ou «loi pour l’encouragement de l’apprentissage», édictée en 1709.
La conception moderne du copyright dans les pays de common law est issue de la loi de la reine Anne de 1710, également appelée «loi pour l’encouragement de l’apprentissage», qui fut votée pour encourager la lecture et plus particulièrement les «hommes instruits à composer et écrire des livres utiles»[10] Jusqu’alors, les imprimeurs pouvaient transmettre indéfiniment à leurs héritiers le droit de reproduire des œuvres, accordé par le monarque. Cette loi est une conséquence des Actes d’Union de 1707 qui unirent l’Angleterre et l’Écosse au sein d’un Royaume-Uni de Grande-Bretagne. En effet, les libraires écossais n’acceptaient pas le monopole d’impression accordé aux Anglais de la Stationer’s Company. La première loi sur le droit d’auteur visait donc à mettre fin au monopole de la Stationer’s Company et n’était en rien un mécanisme de protection des titulaires du droit d’auteur (qui était rappelons-le un « droit de copie »), comme on la décrit souvent de nos jours. Plusieurs éléments de cette loi servaient l’intérêt général, tels que[11]:
- la limitation de la durée des droits des titulaires (auparavant illimitée), garantissant ainsi l’entrée des ouvrages dans le domaine public ;
- l’obligation de déposer des exemplaires des ouvrages dans les bibliothèques des universités pour garantir au public l’accès à des livres protégés par le droit d’auteur.
La législation sur le copyright a donc été introduite pour limiter les droits de ceux qui détenaient auparavant le monopole du contrôle des publications.
La loi de la reine Anne a retiré le droit d’auteur aux imprimeurs pour le transférer aux auteurs. Ce droit était accordé pour une durée de 28 ans maximum, au terme desquels les ouvrages entraient dans le domaine public. La loi de la reine Anne est ainsi à l’origine du domaine public – le patrimoine intellectuel commun – et c’est là son aspect le plus notable en matière d’accès au public et d’éducation. La loi de la reine Anne a donné naissance à un ensemble d’ouvrages pouvant être copiés, modifiés, adaptés ou affinés par tout un chacun, à des fins ludiques, commerciales ou didactiques. En outre, son article IX accordait aux universités une exemption spéciale garantissant qu’aucun de leurs droits coutumiers de reproduction ne seraient menacés. Cette exemption ne fut pas décidée par hasard. Des intellectuels, parmi lesquels John Locke, avaient en effet mené une campagne active en faveur de l’abrogation des monopoles d’impression et de distribution des livres et condamnaient fermement l’entrave au progrès de la science que représentait le monopole de la Stationer’s Company[12]
Forté explique ainsi que «le droit d’auteur n’est pas à mettre sur le même plan que les droits à la vie, à la liberté, à la fraternité et à l’égalité devant la loi. C’est un privilège qui nous est accordé par nos concitoyens, car ils reconnaissent les bénéfices qu’ils tirent de nos efforts» [13] Le droit d’auteur n’a pas été conçu, à l’origine, pour protéger les droits des titulaires. Il fut au contraire expressément introduit pour promouvoir l’apprentissage en supprimant les droits perpétuels de ses détenteurs et en le transférant aux auteurs, tout en imposant à ces derniers une limitation raisonnable de sa durée.
Dans la plupart des anciennes colonies britanniques, qui ont ensuite formé les États-Unis, la législation était fondée sur la loi de la reine Anne[14] Il n’est donc pas étonnant que la Constitution américaine reprenne cette intention. La section 8 de l’article Ier fait en particulier référence au pouvoir du Congrès :
“
|
de promouvoir le progrès de la science et des arts utiles en assurant pour un temps limité, aux auteurs et inventeurs, un droit exclusif sur leurs écrits et découvertes respectifs[15]
|
”
|
Loi fédérale américaine sur le copyright (Copyright Act) de 1790
Peu après, le Copyright Act de 1790: loi pour l’encouragement de l’apprentissage fut promulguée aux États-Unis par George Washington [16] À l’instar de la loi de la Reine Anne, cette loi avait été édictée (comme son titre le suggère) pour encourager l’apprentissage et ne visait à protéger les titulaires du droit d’auteur que dans la mesure où cela servait cet objectif premier. Thomas Jefferson était opposé à l’établissement d’un lien entre le droit de copie et le droit de propriété. Il écrivit ainsi en 1813 que «les inventions ne peuvent pas, par nature, être sujettes à la propriété»[17] De même, le Président Madison déclara quant à lui que c’est «l’incitation, qui est un droit naturel, et non la propriété, qui est la justification première du copyright américain»”[18]
Les origines du copyright suggèrent ainsi que la common law n’est a priori pas favorable à la propriété intellectuelle. Il s’agit pour elle d’un monopole qui est accordé à son titulaire, et non d’un droit. Depuis l’introduction de ces lois, les détenteurs du copyright n’ont eu de cesse de batailler, avec succès, pour prolonger la durée de leurs droits au détriment de l’éducation et des citoyens, en déformant la signification du droit d’auteur dans l’esprit du public pour le changer en «propriété intellectuelle».
Droit d’auteur et propriété intellectuelle dans les pays de droit civil
Il convient de noter que d’autres pays n’ont pas la même tradition juridique. La plupart des pays d’Europe continentale, d’Afrique francophone et d’Amérique latine suivent le Code Napoléon, ou Code civil, qui repose sur la notion de droit d’auteur par opposition au copyright anglo-saxon. En France, notamment, le droit d’auteur relève de la propriété littéraire et artistique, qui est, par définition, une branche de la propriété intellectuelle: le cadre législatif et réglementaire applicable est regroupé dans le Code de la propriété intellectuelle.
Droits d’auteur autochtones au Canada
Les droits d’auteur autochtones obéissent également à des règles et des traditions diverses.
- La loi sur le droit d’auteur et les droits de propriété intellectuelle autochtones
Réflexion finale
Dans «Stealing the goose: Copyright and learning» (qui a largement inspiré cette page), Rory McGreal, dans le droit fil de la tradition des pays de «common law», finit par conclure que :
“
|
La législation sur le copyright [Note du Traducteur: et non du droit d’auteur] a été expressément introduite pour limiter les droits de ceux qui contrôlaient et distribuaient le savoir. Pourtant, ceux-là même sont en train de réussir à transformer ce qui était à l’origine un “droit de copie” en un droit de propriété. Les établissements d’enseignement se voient retirer leurs droits coutumiers. L’équilibre doit être rétabli pour les chercheurs. La recherche et l’apprentissage doivent pouvoir bénéficier de l’interprétation souple prévue par les lois originelles[19]
|
”
|
Heureusement, depuis l’avènement du numérique, Creative Commons propose des outils juridiques permettant aux établissements d’enseignement de rétablir un certain équilibre en autorisant l’utilisation des œuvres et en permettant de créer de nouveaux savoirs soumis à moins de restrictions.
Êtes-vous d’accord avec ce point de vue?
Faites-nous part de vos réflexions sur l’évolution du droit d’auteur en publiant un commentaire sur WeNote. Vous trouverez ci-dessous deux questions pour vous aider à élaborer votre réflexion. Vous pouvez répondre en introduisant votre commentaire par la formule : «À mon avis,…»
- Le droit des auteurs à «posséder» leurs œuvres doit-il l’emporter sur la recherche et l’apprentissage, compte tenu notamment de l’utilisation généralisée d’Internet comme outil éducatif? Pourquoi?
- Pensez-vous que le droit d’un auteur à «posséder» son œuvre relève du droit de propriété? Pourquoi?
Vous devez être connecté pour publier sur WEnotes.
Note : Votre commentaire s’affichera sur le fil d’actualité du cours.
Lectures complémentaires
Nous vous conseillons les sources suivantes pour approfondir le sujet:
Sources
Cette sous-partie s’inspire de:
McGreal, R. (2004). Stealing the goose: Copyright and learning. International Review of Research in Open and Distributed Learning, vol. 5, no 3. Disponible sur: http://www.irrodl.org/index.php/irrodl/article/view/2990/4225 (en anglais seulement).
References
- ↑ 1.0 1.1 Aristote. (1874) Poétique. (nouv. éd., rev. et corr.). Traduit en français par Batteux, C.. Paris: 1874. Consulté le 25 août 2020.
- ↑ Harpur, T. (2006). Le Christ païen : Retrouver la lumière perdue. Montréal: Éditions du Boréal.
- ↑ Thomas, J. B. (2004). St. Columba. The Catholic Encyclopedia, Volume IV. Consulté le 25 mars 2004 (en anglais seulement).
- ↑ Concannon, K. (1er juillet 2004). St. Columcille: Ireland’s first «White Martyr». Catholic Herald. Consulté le 20 août 2004 (en anglais seulement).
- ↑ Cahill, T. (1995). How the Irish saved civilization: The untold story of Ireland’s heroic role from the fall of Rome to the rise of medieval Europe (Vol. I). New York: Doubleday (en anglais seulement).
- ↑ (Contributions). (août 2004). Stationers Company. Literary Encyclopedia. Consulté le 7 septembre 2004 (en anglais seulement).
- ↑ Oxford University Press. (n.d.). Entrée du mot «plagiarize» dans l’Oxford English Dictionary. Consulté le 9 septembre 2004 (en anglais seulement).
- ↑ Howard, R. M. (1988). Review of Mallon, Thomas. Stolen Words: Forays into the origins and ravages of plagiarism. New York : Ticknor and Fields, 1989. Consulté le 9 septembre 2004 (en anglais seulement).
- ↑ Downes, S. (avril 2003). Copyright, ethics and theft. Journal of the United States Distance Learning Association, vol. 17, no 2. Consulté le 13 mai 2003 (en anglais seulement).
- ↑ Chambre des communes. (1709).An Act for the Encouragement of Learning, by Vesting the Copies of Printed Books in the Author’s or Purchasers of Such Copies. Consulté le 28 octobre 2003 (en anglais seulement).
- ↑ Rimmer, M. (2007). Digital copyright and the consumer revolution: hands off my iPod. Edward Elgar Publishing. ISBN 9781845429485 (en anglais seulement).
- ↑ Locke, J. (2 janvier 1692). A letter to Clarke. Consulté le 6 septembre 2004 (en anglais seulement).
- ↑ Forté, B. (15 juin 2000). The Statute of Queen Anne. Consulté le 1er septembre 2004 (en anglais seulement).
- ↑ Shirata, H. (1992). The origin of two American copyright theories: A case of the reception of English law. Consulté le 6 septembre 2004 (en anglais seulement).
- ↑ Convention constitutionnelle des États-Unis. (1787). Constitution des États-Unis. (accessible en français sur le site l’ambassade des États-Unis en France). Consulté le 9 septembre 2020.
- ↑ Washington, G. (17 juillet 1790). The First U.S. Copyright Law. Columbian Centinel. Consulté le 21 août 2004 (en anglais seulement).
- ↑ Jefferson, T. (13 août 1813). Thomas Jefferson letter to Isaac McPherson 13:333–34. Foundation Constitution, chap. 16, doc. 25. Consulté le 21 août 2004 (en anglais seulement). Retrieved 21 August 2004.
- ↑ tel que cité dans Vaidhyanathan, S. (2001). Copyrights and copywrongs: The rise of intellectual property and how it threatens creativity. p. 43. New York : New York University Press. (en anglais seulement).
- ↑ McGreal, R. (2004). Stealing the goose: Copyright and learning. International Review of Research in Open and Distributed Learning, vol. 5, no 3. Consulté le 30 décembre 2010 (en anglais seulement).
Qui volent une oie sur le terrain communal,
Mais laissent filer le scélérat
Qui vole le terrain communal à l’oie.
—Poème anonyme de protestation, 1764 ou 1821
Premiers pas
Quiz
Indiquez si les affirmations suivantes sont vraies ou fausses:
Le droit d’auteur : un concept étranger à la pensée antique
Dans les pays de common law (de tradition juridique britannique), le droit d’auteur (copyright en anglais – soit littéralement le «droit de copie») est officiellement apparu au XVIIIe siècle.
Avant cela, les scribes de l’antiquité (les premiers copieurs) ne se privaient pas de raccourcir, de substituer, de modifier, de rallonger ou d’abréger les œuvres classiques ou religieuses qu’ils recopiaient. Au IVe siècle av. J.-C., Aristote écrivait ainsi que :
Sous l’Antiquité, la copie ou ce que l’on appelle aujourd’hui plagiat n’étaient pas proscrits. La conception du monde de nos ancêtres reposait sur des récits et non sur des dogmes. Les conteurs ne détenaient pas de droit «moral» sur leurs contes. Personne ne remettait en cause le droit de tout un chacun à copier les récits et les œuvres. «La notion de droit d’auteur était parfaitement étrangère à la pensée antique»[2]
Partir en guerre pour le droit de copier un livre
C’est en Irlande, au VIe siècle, que s’est tenu le premier procès connu sur le droit de copie. Un moine irlandais du nom de Colomba recopia sans autorisation le psautier de saint Jérôme, un recueil appartenant à Finnian, abbé dans un autre monastère. Ce dernier lui demanda de lui rendre la copie de son livre, considérant qu’il s’agissait d’un bien qui lui avait été volé. Face au refus de Colomba, Finnian en appela au roi Diarmaid d’Irlande, qui se prononça en sa faveur, en vertu du principe de « à chaque vache son veau ». Offusqué de ce jugement, Colomba affronta les hommes du roi lors de la bataille de Cuildremne, en 561. Il remporta la victoire, qui coûta néanmoins la vie à plus de 3 000 hommes, et le roi Diarmaid dû partir en exil [3] Plus tard, Colomba dut lui aussi s’exiler pour l’Écosse[4] On peut conclure de cet épisode que bien qu’il ait perdu le procès, Colomba avait néanmoins fini par l’emporter par la force. La bataille de Cuildremne régla la question du droit d’auteur en faveur du libre accès pour plus d’un millénaire. Les moines irlandais continuèrent à copier des livres et, depuis l’Écosse, se disséminèrent en Europe, où ils diffusèrent les lumières[5]
Beaucoup d’auteurs, mais seulement quelques presses : le monopole de distribution des débuts de l’imprimerie
La presse à imprimer, qui a rendu possible la production de copies en série, fut introduite en Europe au XVe siècle. Comme les presses étaient rares et les auteurs nombreux, les imprimeurs prirent le contrôle des livres qu’ils reproduisaient, se contentant généralement de verser à leurs auteurs une simple rétribution forfaitaire. Les monarques, estimant qu’il était plus simple de taxer et de contrôler ces quelques imprimeurs plutôt que les nombreux auteurs, leur accordèrent le monopole de la distribution, en échange du versement de taxes et du respect de la censure. En Angleterre, la Stationers Company, composée de membres appartenant à une guilde d’imprimeurs londoniens, se vit accorder en 1557 un monopole d’impression dans le but d’éviter la diffusion des idées protestantes dans le pays[6] Sous Cromwell, les monopoles d’impression furent renforcés, mais la censure était cette fois dirigée contre les opposants au protestantisme.
C’est au cours de cette période que le fait de copier un ouvrage sans mentionner son auteur est devenu inacceptable aux yeux de la société. Ben Johnson fut l’un des premiers auteurs anglais à utiliser le terme de «plagiaire» (plagiary) tel qu’il est défini aujourd’hui. L’Oxford English Dictionary cite une occurrence antérieure du mot chez Montagu en 1621, qui utilisa le terme de «plagiat» (plagiarisme) pour décrire le fait de dérober l’œuvre de quelqu’un[7] Ainsi, Howard soutient que le plagiat est une construction historique plutôt qu’une catégorie morale[8] Downes reconnaît quant à lui que le plagiat, s’il est mensonger, ne relève pas du vol, mais constitue plutôt un «abus de confiance entre le plagiaire et le lecteur… une représentation trompeuse de soi»[9]
Origines du droit d’auteur
La conception moderne du copyright dans les pays de common law est issue de la loi de la reine Anne de 1710, également appelée «loi pour l’encouragement de l’apprentissage», qui fut votée pour encourager la lecture et plus particulièrement les «hommes instruits à composer et écrire des livres utiles»[10] Jusqu’alors, les imprimeurs pouvaient transmettre indéfiniment à leurs héritiers le droit de reproduire des œuvres, accordé par le monarque. Cette loi est une conséquence des Actes d’Union de 1707 qui unirent l’Angleterre et l’Écosse au sein d’un Royaume-Uni de Grande-Bretagne. En effet, les libraires écossais n’acceptaient pas le monopole d’impression accordé aux Anglais de la Stationer’s Company. La première loi sur le droit d’auteur visait donc à mettre fin au monopole de la Stationer’s Company et n’était en rien un mécanisme de protection des titulaires du droit d’auteur (qui était rappelons-le un « droit de copie »), comme on la décrit souvent de nos jours. Plusieurs éléments de cette loi servaient l’intérêt général, tels que[11]:
La législation sur le copyright a donc été introduite pour limiter les droits de ceux qui détenaient auparavant le monopole du contrôle des publications.
La loi de la reine Anne a retiré le droit d’auteur aux imprimeurs pour le transférer aux auteurs. Ce droit était accordé pour une durée de 28 ans maximum, au terme desquels les ouvrages entraient dans le domaine public. La loi de la reine Anne est ainsi à l’origine du domaine public – le patrimoine intellectuel commun – et c’est là son aspect le plus notable en matière d’accès au public et d’éducation. La loi de la reine Anne a donné naissance à un ensemble d’ouvrages pouvant être copiés, modifiés, adaptés ou affinés par tout un chacun, à des fins ludiques, commerciales ou didactiques. En outre, son article IX accordait aux universités une exemption spéciale garantissant qu’aucun de leurs droits coutumiers de reproduction ne seraient menacés. Cette exemption ne fut pas décidée par hasard. Des intellectuels, parmi lesquels John Locke, avaient en effet mené une campagne active en faveur de l’abrogation des monopoles d’impression et de distribution des livres et condamnaient fermement l’entrave au progrès de la science que représentait le monopole de la Stationer’s Company[12]
Forté explique ainsi que «le droit d’auteur n’est pas à mettre sur le même plan que les droits à la vie, à la liberté, à la fraternité et à l’égalité devant la loi. C’est un privilège qui nous est accordé par nos concitoyens, car ils reconnaissent les bénéfices qu’ils tirent de nos efforts» [13] Le droit d’auteur n’a pas été conçu, à l’origine, pour protéger les droits des titulaires. Il fut au contraire expressément introduit pour promouvoir l’apprentissage en supprimant les droits perpétuels de ses détenteurs et en le transférant aux auteurs, tout en imposant à ces derniers une limitation raisonnable de sa durée.
Dans la plupart des anciennes colonies britanniques, qui ont ensuite formé les États-Unis, la législation était fondée sur la loi de la reine Anne[14] Il n’est donc pas étonnant que la Constitution américaine reprenne cette intention. La section 8 de l’article Ier fait en particulier référence au pouvoir du Congrès :
Loi fédérale américaine sur le copyright (Copyright Act) de 1790
Peu après, le Copyright Act de 1790: loi pour l’encouragement de l’apprentissage fut promulguée aux États-Unis par George Washington [16] À l’instar de la loi de la Reine Anne, cette loi avait été édictée (comme son titre le suggère) pour encourager l’apprentissage et ne visait à protéger les titulaires du droit d’auteur que dans la mesure où cela servait cet objectif premier. Thomas Jefferson était opposé à l’établissement d’un lien entre le droit de copie et le droit de propriété. Il écrivit ainsi en 1813 que «les inventions ne peuvent pas, par nature, être sujettes à la propriété»[17] De même, le Président Madison déclara quant à lui que c’est «l’incitation, qui est un droit naturel, et non la propriété, qui est la justification première du copyright américain»”[18]
Les origines du copyright suggèrent ainsi que la common law n’est a priori pas favorable à la propriété intellectuelle. Il s’agit pour elle d’un monopole qui est accordé à son titulaire, et non d’un droit. Depuis l’introduction de ces lois, les détenteurs du copyright n’ont eu de cesse de batailler, avec succès, pour prolonger la durée de leurs droits au détriment de l’éducation et des citoyens, en déformant la signification du droit d’auteur dans l’esprit du public pour le changer en «propriété intellectuelle».
Droit d’auteur et propriété intellectuelle dans les pays de droit civil
Il convient de noter que d’autres pays n’ont pas la même tradition juridique. La plupart des pays d’Europe continentale, d’Afrique francophone et d’Amérique latine suivent le Code Napoléon, ou Code civil, qui repose sur la notion de droit d’auteur par opposition au copyright anglo-saxon. En France, notamment, le droit d’auteur relève de la propriété littéraire et artistique, qui est, par définition, une branche de la propriété intellectuelle: le cadre législatif et réglementaire applicable est regroupé dans le Code de la propriété intellectuelle.
Droits d’auteur autochtones au Canada
Les droits d’auteur autochtones obéissent également à des règles et des traditions diverses.
Réflexion finale
Dans «Stealing the goose: Copyright and learning» (qui a largement inspiré cette page), Rory McGreal, dans le droit fil de la tradition des pays de «common law», finit par conclure que :
Heureusement, depuis l’avènement du numérique, Creative Commons propose des outils juridiques permettant aux établissements d’enseignement de rétablir un certain équilibre en autorisant l’utilisation des œuvres et en permettant de créer de nouveaux savoirs soumis à moins de restrictions.
Êtes-vous d’accord avec ce point de vue?
Faites-nous part de vos réflexions sur l’évolution du droit d’auteur en publiant un commentaire sur WeNote. Vous trouverez ci-dessous deux questions pour vous aider à élaborer votre réflexion. Vous pouvez répondre en introduisant votre commentaire par la formule : «À mon avis,…»
Vous devez être connecté pour publier sur WEnotes.
Note : Votre commentaire s’affichera sur le fil d’actualité du cours.
Lectures complémentaires
Lectures
Nous vous conseillons les sources suivantes pour approfondir le sujet:
Sources
Cette sous-partie s’inspire de:
McGreal, R. (2004). Stealing the goose: Copyright and learning. International Review of Research in Open and Distributed Learning, vol. 5, no 3. Disponible sur: http://www.irrodl.org/index.php/irrodl/article/view/2990/4225 (en anglais seulement).
References
Dynamic Coalition Partner
Dynamic Coalition Partner
Dynamic Coalition Partner
Dynamic Coalition Partner